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Logements sociaux dans la CUB : 9 villes hors-la-loi

Quelle est l’importance accordée à la mixité sociale dans les villes de la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB) ? En 2012, quelle a été la répartition des logements sociaux ? Quelles sont les villes hors-la-loi pour ne pas avoir construit assez de logements sociaux sur leurs territoires ? Comment seront-elles sanctionnées ? État des lieux de l’équipement en logement social dans la CUB.

Aux prochaines élections municipales, les logements sociaux seront au cœur des programmes des candidats. Trop de logements sociaux ou pas assez ? La dosage peut parfois s’avérer difficile lorsqu’il s’agit d’éviter les ghettos et de favoriser la mixité sociale.
Pour permettre la cohabitation de groupes sociaux variés, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) votée en 2000, oblige les communes de plus de 3500 habitants à avoir un taux de logements sociaux d’au moins 20 % sur leur territoire.  Une nouvelle version de la loi portée par la ministre du Logement Cécile Duflot a été adoptée en décembre 2012 et devra être appliquée par les communes. Elle prévoit un relèvement de 20 à 25% du nombre de logements sociaux dans les communes de plus de 3500 habitants et une multiplication par 5 de la sanction financière pour les villes récalcitrantes.

Une répartition en logements sociaux inégale

  • Les fonds de couleur sur la carte ci-dessus représentent le taux de logements sociaux non communautaires en 2012 de chaque commune de la CUB selon les chiffres de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL).
  • Les cercles bleus correspondent aux villes n’atteignant pas, en 2012, le taux SRU imposant 20% de logements sociaux alertés par la préfecture de la Gironde. Il correspond à la part de logements sociaux, y compris les logements communautaires par rapport au nombre de résidences principales.

Parmi ces neuf communes hors-la-loi, quasi égalité entre les villes de gauche et de droite : 5 ont un maire PS, 2 un maire UMP et 2 un ont maire divers droite. Si l’étiquette politique ne semble donc pas avoir d’influence sur le taux de logements sociaux dans les villes de la CUB, les communes aux revenus fiscaux médians les plus élevés possèdent moins de 20% de logements sociaux.

Trois questions à Christophe Duprat (UMP), maire de Saint-Aubin-de-Médoc.
Quel est votre bilan en matière de logement social ?
La commune de Saint-Aubin-de-Médoc dispose actuellement de 5% de logements sociaux. Quand j’ai été élu en 2005, il n’y avait que 43 logements sociaux. Il y en aura 292 à la fin de mon mandat. C’est assez spectaculaire en 8 ans. Nous avons actuellement 51 demandes en attende de résidents de la commune et 60 demandes venant de l’extérieur. A la fin 2014, je n’aurai plus aucune demande en attente de logements sociaux de la part d’habitants de la commune.Votre commune ne respecte pas le taux de 20% de logements sociaux. Votre commune s’acquitte-t-elle de l’amende SRU ?
Oui, tous les ans. Cela revient à environ 50 000 euros sur un budget de 10 millions d’euros. La loi considère qu’il nous manque 400 logements. Si je veux atteindre les objectifs nouveaux de 25% de logements sociaux dans ma commune, il faut que je construise 105% de logements sociaux pendant 10 ans, ce qui est techniquement impossible. Cela voudrait dire qu’à partir de demain, on ne construit plus que du logement social à Saint-Aubin-de-Médoc. C’est totalement irréaliste. Je ne pouvais pas atteindre les 20%, je ne pourrai pas atteindre les 25%.Comment expliquez-vous que ce soit impossible ?
Je ne signe que 40 permis de construire par an. Je ne peux pas respecter la loi et je ne veux pas. Une ville se construit avec tout un tas de types de logements. Ne construire qu’un type d’habitat, c’est une politique de contrainte, ce n’est pas la liberté. La nouvelle loi Duflot est une loi marxiste. Je ne peux pas dire à un propriétaire : « Vous ne construirez pas, ici on ne fait que des logements sociaux » ou « non, revenez dans 10 ans, peut-être que vous pourrez venir habiter ici ».

La Préfecture de la Gironde ne nous a pas communiqué la liste des villes avec un taux de logements sociaux supérieur à 20%. Pour connaître ces villes, nous avons donc calculé nous-même ce taux en nous basant sur le nombre de logements sociaux « ordinaires » de 2012 répertoriés par la DREAL et sur le nombre de résidences principales recensé par l’INSEE en 2009.

Ces quatre villes sont limitrophes et sont situées rive droite. Elles cumulent les revenus médians les plus faibles (entre 13400 € et 17000 €).

À Lormont, ville en tête du classement, on se félicite de la politique en matière de logement social mais on s’agace aussi de voir que d’autres communes ne font pas d’effort particulier. Afin de pallier le risque d’enclavement d’un seul type de population cumulant les handicaps sociaux, certaines mesures ont été mises en place. « Il existe un programme départemental des publics en difficulté, où les personnes sortant de Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) ne sont pas relogées sur les communes de la rive droite », explique Marie-Dominique Clark, responsable du service logement et habitat à Lormont.

Des villes en ballottage

Depuis janvier 2013, la loi SRU a été durcie avec l’entrée en vigueur de la loi Duflot: le seuil de logements sociaux obligatoires est passé de 20 à 25 %.
Des communes de la CUB ayant actuellement entre 20 et 25 % de logements sociaux se retrouvent donc depuis janvier dans un « entre-deux ». D’après nos calculs, les communes de Pessac (21,26%) et de Blanquefort (23,73%) seront prochainement considérées comme déficitaires en logement sociaux.

La loi SRU en questions

Qu’est ce que la loi SRU ?

La loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain (SRU) a été adopté en 2000 sous le gouvernement Jospin. Elle vise à développer le logement social et à favoriser la mixité sociale en obligeant certaines communes à disposer d’au moins 20 % de logements sociaux.
Le 1er janvier 2014, la loi sera plus exigeante : le taux sera de 25 % de logements sociaux.

Qui concerne-t-elle ?

La loi s’applique aux communes de plus de 3500 habitants (1500 en Île-de-France) situées dans une agglomération de plus de 50000 habitants et dont une ville comporte au moins 15000 habitants. 23 des 27 communes de la CUB sont concernées.

Comment la loi s’applique-t-elle ?

Les logements comptabilisés sont :

    • les logements sociaux « ordinaires » (comme les HLM),
    • les foyers de jeunes travailleurs
    • les logements étudiants
    • les résidences pour personnes âgées
    • les Centres d’Hébergements et de Réinsertion Sociale (CHRS)

Tous les ans. Les mairies recensent le nombre de logements sociaux. Les chiffres sont ensuite transmis à la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM), un service de la préfecture. La DDTM vérifie ces chiffres et les notifie aux mairies : cela s’appelle la procédure contradictoire.

Tous les trois ans.La préfecture punit les communes déficitaires. Les mairies doivent alors payer une amende. Mais certaines utilisent des moyens détournés pour ne pas la payer.

A combien s’élève l’amende ?

L’amende s’élève à environ 150 euros par logement considéré comme « manquant ». En 2012, l’État a ainsi levé 68 millions d’euros sur les communes concernées. Saint-Aubin-de-Médoc, mauvais élève de la CUB, a été prélevé de 50 000 euros.
Avec la nouvelle loi, l’amende sera multipliée par 5.

Pourquoi certaines communes ne paient pas d’amende ?

Il existe plusieurs recours utilisés par les villes pour éviter de payer une amende ou en réduire le montant.
Si la commune possède plus de 15 % de logements sociaux et bénéficie de la Dotation de Solidarité Urbaine (DSU), elle est exemptée de taxe. Seules les communes ayant des ressources financières insuffisantes et supportant des charges sociales élevées peuvent bénéficier de la DSU. Gradignan et Villenave-d’Ornon sont dans ce cas.

D’autres communes ne sont pas punies car elles sont en « décroissance démographique » ou se situent dans une zone à risque.

Une ville investissant dans le logement verra son amende réduite. Par exemple : une commune investit 30 000 euros dans le logement et son amende s’élève à 100 000 euros. Ce montant sera déduit de l’investissement effectué. La ville ne devra alors payer « que » 70 000 euros. C’est le cas d’Ambarès, Artigues-près-Bordeaux, Bordeaux, Saint-Médard-en-Jalles, Saint-Aubin-de-Médoc et le Taillan-Médoc.


Pour aller plus loin…

Entretien avec Arnaud Bilek, économiste, qui avait mené en 2008 une étude sur la loi SRU : « La loi SRU incite-t-elle les maires à construire du logement social ? »

Quels ont été les résultats de votre étude ?

L’une de nos conclusions était d’une part que le montant de l’amende prévu n’était pas assez incitatif et qu’il ne représentait pas une menace suffisante pour susciter des changements dans les politiques d’aménagement des municipalités. Un des autres points que nous avons identifié, et qui est un des effets pervers de la loi SRU, est le suivant : si les communes ne respectent pas les objectifs fixés par la Préfecture, une amende est calculée par rapport au nombre de logements sociaux manquants dans la ville. Le montant de cette amende est déduit de la Dotation Globale de Fonctionnement attribué par l’Etat aux communes. L’amende de la loi SRU n’est donc pas de l’argent donné par les mairies à l’Etat mais de l’argent qu’on ne leur donne pas.
Or la loi SRU a prévu que cet argent ne reste pas dans les caisses de l’Etat et serve à financer des établissements public de coopération intercommunale (EPCI), structures intercommunales qui s’occupent de l’aménagement du territoire. Mais il y a un hic : ces EPCI sont gérés bien souvent par les mêmes élus qui s’occupent des communes qui ne respectent pas la loi SRU.
Les élus ne sont donc finalement pas très embêtés par l’amende parce que l’argent qu’on ne leur verse pas sera mis dans un EPCI géré par ces mêmes élus.

L’autre point que l’on avait observé est que la couleur politique joue peu sur l’évolution du logement social. C’est important de le préciser car les gens ont tendance à se dire que les élus de gauche construisent plus de logements sociaux que les élus de droite. Cette impression existe notamment parce que l’électorat est dispersé de telle façon que, là où il y a des difficultés sociales, il y a davantage de logements sociaux, et que dans ces communes défavorisées, l’électorat est souvent plus sensible aux thèses de la gauche.
Ce que l’on a en revanche observé c’est que dans les communes où il y a une compétition électorale forte, où l’opposition est très présente et où il y a une compétition éléctorale intense, la construction de logements sociaux est plus importante. L’hypothèse que l’on a émise est que, dans ces communes, ne pas respecter la loi SRU a un coût  politique plus sensible parce que l’opposition en fait un argument électoral.

Quelles questions restent en suspens sur ce sujet ?

Une des questions à laquelle nous n’avons pas trouvé de réponse, et qui n’est pas éclaircie avec la nouvelle loi Duflot, est celle du seuil obligatoire. Pourquoi ce choix 20% de taux de logements sociaux obligatoires hier et de 25% aujourd’hui ? Qu’est-ce qui permet de définir ces taux ? Pourquoi pas 10%, 15% ou 30% ? L’augmentation du seuil est appréciable mais n’aurait-il pas été préférable d’élargir le nombre de communes assujetties à la loi ? N’aurait-il pas fallu revoir les critères d’éligibilité au regard de la loi de façon à ce que davantage de villes aient à construire des logements sociaux?


Trois questions à Pascal Paoli, directeur de l’agence Fondation Abbé Pierre Aquitaine

Que pensez-vous de l’application de la loi SRU dans la Communauté urbaine de Bordeaux ?

Le fait que plusieurs communes de la CUB ne soient pas dans les clous et aient moins de 20% de logements sociaux n’est pas une situation nouvelle. On trouve plusieurs explications à ce problème. Il y a tout d’abord la difficulté pour certaines communes de mettre en œuvre la loi, et ce, alors même qu’une réelle volonté politique existe. Cette difficulté est essentiellement due au foncier, c’est-à-dire au terrain, qui est rare et pas toujours disponible au prix où les communes pourraient en faire l’acquisition pour faire du logement sociale accessible. Le deuxième élément est le manque de crédits suffisants avec une politique directe du logement social en diminution. Le manque de financement public oblige les collectivités locales territoriales à se substituer au financement de l’État pour compléter les manques à gagner. Or toutes les communes n’ont pas les moyens de le faire.
Dernière élément, loin d’être des moindres : le fait que certaines communes s’affranchissent de l’obligation de construire des logements sociaux en payant l’amende. On constate en effet que ce que l’on appelle les « mauvais élèves » de la loi SRU, sont généralement des communes assez riches, qui choisissent de s’acquitter de l’amende plutôt que de s’engager dans des programmes de construction de logements sociaux.

Pensez-vous que l’entrée en vigueur de la loi Duflot et d’une multiplication par cinq du montant des amendes puisse change la donne ?

Il faut préciser une chose concernant la loi Duflot : elle oblige certes les communes à passer d’un taux de logements sociaux de 20% à 25%,  mais elle n’oblige en rien les villes ne remplissant pas ce taux à payer une amende cinq fois plus cher. La multiplication par cinq de l’amende est une potentialité laisser à la discrétion des préfets qui ne sont, pour des questions d’enjeux locaux, pas toujours en capacité de taper du poing sur la table pour quintupler les amendes. Cette multiplication de l’amende par cinq n’est qu’un moyen de coercition supplémentaire : c’est un dispositif prévu dans la loi, encore faut-il qu’il soit actionné !

Quelles sont les nouvelles demandes de la Fondation Abbé Pierre  en matière de construction de logements sociaux ?

Le plus important serait que de l’argent public soit fléché sur le logement social à destination des communes soumises à l’obligation d’en construire. Il faudrait également libérer du foncier public de l’État ou agir de manière coercitive pour récupérer du foncier disponible à des prix du marché et non à des prix de la spéculation. Ce qui allait dans le bon sens dans le projet de loi de Cécile Duflot, c’était que l’État devait mettre à disposition au moins le foncier public, jusqu’à la gratuité, c’est-à-dire qu’il devait céder ses terrains constructibles.
Enfin, dans la politique de construction de logements sociaux, il faudrait se concentrer davantage sur la construction de logements PLAI qui sont les logements sociaux à loyers très modérés, plutôt que sur des logements PLS, pour classes intermédiaires, dont les loyers ne sont pas accessibles à la grande majorité des populations.


Méthode

A un an des élections municipales, notre objectif était de montrer les disparités en matière de logement social au sein de la CUB, tout en faisant apparaître les villes qui respectent ou non la loi SRU instaurant 20% de logements sociaux.

Nous disposions de deux bases de données :
• le nombre de logements sociaux par commune en 2012 fournis de la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL).
•  l’évolution du nombre de logements sociaux dans chaque commune entre 2000 et 2010 trouvée également fourni par la DREAL.

A partir de ces données, nous souhaitions savoir si les villes respectent ou non la loi SRU en divisant le nombre de logements sociaux par le nombre de résidences principales. Premier problème : nous ne disposions que des données du dernier recensement de 2009 pour connaitre le nombre de résidences principales des communes. Deuxième problème : la base de données fournie par la DREAL ne nous renseignait que sur les logements sociaux dits « ordinaires » alors que la loi SRU prend également en compte d’autres types de logements comme les logements étudiants, les foyers pour personnes âgées ou encore logements d’urgence. Finalement, la Préfecture de la Gironde, chargée de faire respecter la loi SRU, nous a fourni les taux de logements sociaux des villes hors-la-loi au 1er janvier 2012. Notre cartographie est complexe en raison de ces données issues de sources multiples.

Autre difficulté : les mairies n’ont pas toujours été coopératives pour nous communiquer le nombre de logements dont elles disposent et le nombre de demandeurs de ces logements actuellement sur liste d’attente. Quelques mairies nous ont répondu rapidement. D’autres nous ont reproché nos délais trop courts. Certaines n’ont pas pris la peine de nous répondre. Les problèmes rencontrés avec nos bases de données, la complexité de la loi SRU et l’attente des réponses des mairies nous ont fait perdre du temps.

Une pré-enquête plus développée en amont et davantage de temps nous auraient permis d’avoir des données plus détaillées telles que celles de la répartition des logements sociaux selon leurs types (PLAI, PLUS et PLS). Car pour atteindre l’objectif fixé par la loi, certaines communes préfèrent construire des logements sociaux pour classes moyennes aisées (PLS) dont le prix au mètre carré est souvent le même que dans le parc privé. Il aurait donc été intéressant de montrer cet aspect de la répartition de logements sociaux si nous avions disposer de ces données dans les délais.

Cyrielle Bedu, Christina Chiron et Mélanie Lelion

Vous pouvez encore consulter le site du datajournalismelab de 2012. Outre les productions des étudiants, vous y trouverez des documents visant à partager les expériences et la réflexion des nombreux acteurs de ce laboratoire autour d’un modus operandi de la formation au datajournalisme.